Des chercheurs français viennent de montrer que les maladies auto-immunes pourraient être traitées avec succès par l'interleukine 2 à faibles doses.
Les grandes découvertes en médecine résultent parfois de la rencontre entre deux univers qui, en se recoupant, s'éclairent mutuellement pour ouvrir une nouvelle perspective.
Les professeurs David Klatzmann, codécouvreur du virus du sida, et Patrice Cacoub, respectivement chefs du service de biothérapies et du service de médecine interne à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), travaillent depuis des années, mais pas sous le même angle, sur les maladies auto-immunes, ces affections relativement fréquentes, caractérisées par une autodestruction de tissus pourtant sains. L'organisme, dans ces pathologies, se met à fabriquer des cellules et des anticorps contre ses propres composants. C'est le cas du diabète de type 1 où les cellules du pancréas secrétant l'insuline sont progressivement annihilées ; de la sclérose en plaques due à une autodestruction des gaines de myéline qui protègent les neurones du système nerveux central, de certaines maladies du rein…
Les professeurs Klatzmann et Cacoub ont fait l'hypothèse qu'une grande partie des maladies auto-immunes étaient caractérisées par des mécanismes immunologiques communs, et notamment une insuffisance de certains globules blancs, les lymphocytes T régulateurs. Ils ont suspecté qu'un traitement par un médicament, l'interleukine 2, pourrait normaliser ces lymphocytes. Et ils ont surtout réussi à guérir 10 malades atteints d'une maladie auto-immune rare, la vascularite liée à l'hépatite C, uniquement grâce à des petites doses d'interleukine 2.
Les résultats de leurs travaux, publiés jeudi dans la plus prestigieuse revue médicale, le New England Journal of Medicine (NEJM) , ouvrent des perspectives nouvelles dans presque toutes les maladies auto-immunes. Qui restent cependant à étayer concrètement. Mais si nos deux chercheurs sont persuadés d'être en train d'écrire un nouveau pan de la médecine moderne, ils ne sont pas les seuls à y croire. D'autres spécialistes français commencent à y souscrire et sont prêts à s'impliquer dans d'autres essais. Les Américains, dans ce même numéro du NEJM, enfoncent le clou avec une autre étude également positive sur l'interleukine 2.
Une découverte passée inaperçue
L'histoire commence en 1995, quand un scientifique japonais découvre un nouveau type de globule blanc, les lymphocytes T régulateurs, dont l'absence provoque des maladies auto-immunes chez la souris. Une découverte qui passe relativement inaperçue à l'époque. En 2003, des chercheurs américains comprennent que les enfants atteints d'un syndrome Ipex, une maladie rare responsable de multiples maladies auto-immunes, présentent une absence totale de ces lymphocytes T.
En 2004, les équipes de Klatzmann et Cacoub montrent que les patients souffrant d'une forme rare de vascularite auto-immune associée à l'hépatite C présentent un déficit en T régulateurs. Quand l'hépatite C guérit grâce aux antiviraux, ces lymphocytes T régulateurs s'élèvent et la vascularite disparaît. Malheureusement, tous les cas d'hépatite C ne guérissent pas grâce aux antiviraux. Mais peut-on faire régresser la vascularite chez les malades atteints d'hépatite C résistante aux antiviraux, en augmentant les T régulateurs ?
L'interleukine 2 (IL2), découverte il y a 30 ans, est un facteur de croissance capable de stimuler d'autres types de lymphocytes T (dits tueurs), utilisée aujourd'hui contre le cancer du rein et le mélanome malin à fortes doses. Il y a quelques années, des scientifiques s'aperçoivent que des souris dénuées du gène de l'interleukine 2 souffrent de maladies auto-immunes. Et n'ont pas de T régulateurs.
Résultats époustouflants
«Nous avons compris à ce moment-là que l'interleukine 2 était un facteur de survie des lymphocytes T régulateurs, eux-mêmes impliqués dans les maladies auto-immunes, racontent les professeurs Klatzmann et Cacoub. D'où notre idée, en 2007, de tester l'IL2 à faible dose dans la vascularite auto-immune liée à l'hépatite C sur 10 malades avec 4 cures à trois semaines d'intervalles, avec deux doses différentes pour établir la meilleure posologie.»
Les résultats publiés jeudi dans le NEJM sont époustouflants sur le plan biologique avec, pour tous les malades, une remontée spectaculaire des T régulateurs, mais surtout une disparition du purpura et des ulcérations cutanées, de l'atteinte rénale. Tous les malades sans exception ont répondu au traitement. Aucun effet secondaire notable n'a été observé. «Si nous sommes si enthousiastes, insistent les deux experts, ce n'est pas seulement à cause du traitement efficace dans ce cadre restreint, mais c'est surtout parce que nos travaux ouvrent une voie thérapeutique prometteuse dans toutes les maladies auto-immunes.»
Le concept reste à prouver dans le cadre large et éclaté des maladies auto-immunes qui concernent des centaines de milliers de personnes aussi bien en neurologie (sclérose en plaques) qu'en rhumatologie (polyarthrite), endocrinologie (diabète) ou en néphrologie… Le laboratoire de Klatzmann a déjà montré que l'interleukine 2 pouvait guérir des souris atteintes de diabète type 1. Un essai est en cours dans le diabète insulinodépendant, d'autres sont envisagés dans plusieurs autres affections. L'Assistance publique des Hôpitaux de Paris, très enthousiaste, a d'ores et déjà accepté de participer au financement d'autres études.