Paru dans Libération:
Société 21/07/2010
«Rigueur» : la preuve par les handicapés
Par JEAN-MARIE BARBIER Président de l’Association des paralysés de France
Le 6 juillet, François Baroin annonçait un report de la revalorisation de l’allocation adulte handicapé (AAH) : en lieu et place de l’augmentation promise par Nicolas Sarkozy de 25% sur cinq ans, elle se fera en six ans. L’année prochaine, elle ne sera donc que de 3% au lieu de 4,5% comme prévu. Cette mesures pour réduire le déficit est totalement inacceptable pour l’Association des paralysés de France (APF), et à plusieurs titres !
D’abord, parce que c’est une promesse du candidat puis du président Sarkozy, renouvelée à plusieurs reprises, et finalement non tenue. Ensuite, parce qu’il n’y avait déjà pas de quoi pavoiser, cette augmentation ne permettant pas à des personnes survivant déjà sous le seuil de pauvreté de le dépasser en cinq ans (encore moins en six). Encore, parce que le Président et le gouvernement font miroiter des réformes - tant auprès des personnes concernées qu’auprès du grand public - qui se retournent contre les personnes bénéficiaires ou, si elles sont un tant soit peu «avantageuses», sont reportées ! Enfin, parce que s’attaquer aux personnes les plus fragiles et précaires - ici les personnes en situation de handicap bénéficiaires de l’AAH - pour réduire le déficit public est proprement scandaleux et inhumain : elles ont déjà la tête sous l’eau parce qu’elles doivent vivre avec moins de 700 euros par mois et subissent de plein fouet l’injustice des mesures de santé publique.
Cette mesure politiquement symbolique et économiquement absurde et injuste amène à alerter l’opinion sur le fait que, non, les personnes en situation de handicap ne sont pas des privilégiées ! Et que, oui, elles font partie de tous les exclus qui aujourd’hui sont les premières victimes de la crise ! Elle amène aussi logiquement à se demander ce qu’il en est des droits économiques et sociaux - à l’emploi, à la santé, à un revenu décent, affirmation de la solidarité de la collectivité… - en France, à l’heure de la «rigueur» !
Force est de constater que ces droits sont aujourd’hui mis à mal par une société qui tend vers l’individualisme et qui, prise dans l’étau des déficits croissants de l’Etat et des organismes sociaux, demande aux publics qui ont le plus besoin des prestations de solidarité d’en payer le prix fort. Les stratégies politiques de responsabilisation des citoyens pour les dépenses publiques - de la responsabilité collective à la responsabilité individuelle - conduisent inexorablement à la culpabilisation. Si vous avez un handicap, c’est de votre faute, donc vous devez payer les frais afférents. Si vous êtes malades, idem. Les publics les plus fragiles sont condamnés à payer toujours plus : le prix de leur fragilité !
De fait, il ne fait pas bon avoir besoin de soins et ne pas avoir les moyens financiers adéquats, ce qui est le cas de centaines de milliers de personnes handicapées, malades, pauvres… On assiste à la disparition progressive du droit à la santé pour tous, qui passe par le démantèlement de notre système de santé : franchises médicales, augmentation du forfait journalier, déremboursement de médicaments, prix des mutuelles de plus en plus élevé. De même, le droit au travail pour tous est un leurre. Travailler «plus» ? Encore faut-il déjà pouvoir travailler ! Et pouvoir travailler, cela signifie ne pas devenir un travailleur pauvre ou être victime du chômage. Cela signifie ne pas être discriminé du fait de son origine, de son handicap, de sa maladie… Cela signifie «pouvoir» au sens propre, c’est-à-dire «être en capacité de», ce qui n’est pas le cas de centaines de milliers de personnes du fait de leur état de santé, de leur handicap, voire de leur état d’exclusion sociale.
En découle, en partie, le droit à des «moyens convenables d’existence» ! A l’heure où le Smic ne suffit plus pour assumer toutes les charges et vivre correctement, que dire des allocations diverses et variées, AAH, pensions d’invalidité ou vieillesse, et autre RSA, bien en deçà du Smic et du seuil de pauvreté ? Les publics fragiles et précaires intègrent la multiplication des contraintes en silence et vivent en devant choisir entre manger et se soigner, par exemple, ou encore entre une aide à l’autonomie et payer ses factures… Pourtant, toutes ces personnes ne veulent pas la charité, juste la solidarité. Et participer à la vie de la société, par exemple, grâce à un revenu d’existence imposable !
Moins de droits, plus de contraintes financières, et tout ça pesant sur les personnes qui ont des besoins légitimes et prioritaires : comment pouvons-nous, au sein de notre société dite «moderne», voire «modèle», accepter le démantèlement de notre cohésion sociale et la remise en cause des droits fondamentaux au nom du sacro-saint déficit public ?