Portrait | Olivier Lyon-Caen, le neurologue du président
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 23.08.2012 à 14h10 • Mis à jour le 04.09.2012 à 18h10
Par Florence Rosier
Il a l'oreille du président François Hollande. Mais il est aussi à l'écoute de ceux qui s'en remettent à lui, humbles ou puissants, réduits au même état de faiblesse par la maladie. Il a l'influence occulte du conseiller de l'ombre sur les questions de santé et de recherche médicale. Mais il avait aussi défilé dans la rue, en mai 2009, avec les "blouses blanches" viscéralement attachées à défendre la mission de service public de l'hôpital, pour le bien des patients.
C'est pour eux qu'Olivier Lyon-Caen a cosigné, en septembre 2011, le Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire (Odile Jacob). Et que le professeur de neurologie à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, tient aujourd'hui à poursuivre ses consultations. "Etre au contact des malades, des soignants et des collègues médecins, c'est un bon repère", observe l'éminence grise du président "normal". "Ma seule légitimité, c'est celle de l'exercice de la médecine", raconte, de sa voix grave et posée, cet homme de 65 ans, qui frappe d'abord par ce mélange d'énergie contenue et de calme assurance, par son attention palpable à l'égard d'autrui.
UNE GRAND MÉDECIN
"Olivier Lyon-Caen, c'est d'abord un grand médecin, qui a dirigé jusqu'à peu le département de neurologie de la Pitié, le lieu de référence du domaine en France", rappelle Alain Fischer, pédiatre immunologiste à l'hôpital Necker. Anecdote révélatrice, c'est le neurologue qui a signé le rapport médical transmis au parquet, en 2011, établissant chez l'ancien président Jacques Chirac un diagnostic "d'anosognosie" (méconnaissance par le patient de sa condition).
"Avec le professeur Yves Agid, Olivier a été le chef d'école de la neurologie hospitalo-universitaire française", renchérit Arnold Munnich, généticien pédiatre à l'hôpital Necker. Celui qui fut, en miroir, le conseiller santé du président Nicolas Sarkozy insiste sur son "amitié profonde" pour son confrère, "en aucun cas un adversaire".
"Il a su transmettre sa passion aux jeunes générations", atteste son élève Catherine Lubetzki, qui a pris le relais à la tête du département de neurologie de la Pitié. Talent didactique qui s'est exprimé jusqu'à cet été, chaque semaine dans une émission santé sur France Culture, "Avec ou sans rendez-vous". "Sur des sujets souvent très éloignés de sa pratique médicale, il sait poser les bonnes questions", relève André Grimaldi, diabétologue à la Pitié.
Très matinal, gros travailleur, Olivier Lyon-Caen a "très bien organisé la structure de soins, en lien avec les activités de recherche et d'enseignement, selon Alain Fischer. Sur cette base a pu naître l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), qui devrait être un lieu phare en matière d'innovation médicale".
Beaucoup disent "fondre" sous ses qualités humaines. Cadre supérieure infirmière dans le département de neurologie de la Pitié, Karine Colin témoigne : "C'est un homme qui tient ses promesses, reconnaît quand il a tort et ne prend aucune décision sans l'accord du paramédical. Il sait quand quelqu'un va mal."
Ce serviteur de l'Etat est, selon ses pairs, un homme "intègre", "très en alerte sur les conflits d'intérêts", "soucieux du respect de la lettre, parfois raide comme la justice". Tous relèvent sa très grande prudence. L'héritage juridique familial ? Ou peut-être le reflet de sa première expérience de conseiller santé, de 1997 à 2002, auprès du premier ministre Lionel Jospin. Il avait été confronté à la crise de la "vache folle" et aux arbitrages de la loi Kouchner sur le droit des malades.
L'homme a ses paradoxes. Le choix de la médecine, chez ce descendant d'une longue lignée de juristes de renom. Une forte sensibilité aux diversités sociales, chez cet élégant qui porte noeud papillon et se livre parfois au baisemain. L'engagement affirmé en faveur d'une médecine solidaire et égalitaire, chez cet homme "fin et aristocratique", selon André Grimaldi. Sans oublier, chez ce grand fumeur qui circule en deux-roues, la plaidoirie en faveur d'une médecine préventive et d'une éducation à la santé renforcées.
CROIRE EN L'HOMME
Cette sensibilité à autrui n'exclut pas une certaine mise à distance. "Il est en permanence dans le contrôle", relèvent ceux qui le côtoient. Au fond, peu savent qui est derrière cet être pudique. "J'ai grandi dans une famille où les échanges intellectuels étaient primordiaux, confie Olivier Lyon-Caen. On nous apprenait deux choses : avoir l'esprit critique et ne pas se prendre au sérieux. Il n'y avait pas de croyance, sauf en l'homme." Et dans les vertus du sport collectif, dont le rugby, "un grand souvenir, une très belle école de vie et d'amitié", se remémore-t-il.
Il aime à rappeler les deux étapes historiques qui ont fondé notre système de santé : la création de la Sécurité sociale en 1945, sous l'impulsion du Conseil national de la Résistance, et la mise en place des Centres hospitalo-universitaires (CHU), en 1958, grâce à la réforme Debré, un "grand résistant". Deux références chargées de sens, chez cet homme imprégné d'universalisme qui raconte avoir grandi "dans une famille juive totalement athée". "Les parents d'Olivier ont été héroïques pendant la seconde guerre mondiale, glisse un proche. Il y a une filiation inconsciente".
On ne parvient pas à de telles responsabilités sans un réel sens politique. Dans sa seconde vie de conseiller, Olivier Lyon-Caen peut s'appuyer sur ses réseaux "de convictions et d'amitié, non de connivence", selon un pair. Jusqu'à ses 30 ans, il dit n'avoir pas été fasciné par les hommes politiques de gauche, hormis Mendès France, avouant "une admiration pour le gaullisme historique". Son engagement à gauche est venu par sa rencontre avec Lionel Jospin, "dans lequel se cristallisaient beaucoup de mes aspirations : rigueur, simplicité, droiture et convictions". Valeurs qu'il assure retrouver chez le président actuel.
"Olivier est un grand médecin qui considère que la médecine n'est pas tout, relève Didier Tabuteau, titulaire de la chaire d'économie de la santé à Sciences Po. Il est très ouvert à la confrontation d'idées sur des questions de médecine de ville, d'assurance-maladie, de prévention, de sécurité sanitaire... C'est un profil rare." "Ça me rassure de le savoir à cette place", appuie Arnold Munnich.
Refusant de s'arroger le droit de parler "au nom de tous", le conseiller alerte cependant sur "un des problèmes les plus aigus que nous aurons à affronter. Plus nous avançons dans la connaissance, plus la nécessité d'une réflexion sociétale s'impose vis-à-vis de ce qui arrivera immanquablement : l'heure des choix. Dans le domaine de la santé, avons-nous le droit et la possibilité de chercher sur tout et à n'importe quel prix ?"
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 23.08.2012 à 14h10 • Mis à jour le 04.09.2012 à 18h10
Par Florence Rosier
Il a l'oreille du président François Hollande. Mais il est aussi à l'écoute de ceux qui s'en remettent à lui, humbles ou puissants, réduits au même état de faiblesse par la maladie. Il a l'influence occulte du conseiller de l'ombre sur les questions de santé et de recherche médicale. Mais il avait aussi défilé dans la rue, en mai 2009, avec les "blouses blanches" viscéralement attachées à défendre la mission de service public de l'hôpital, pour le bien des patients.
C'est pour eux qu'Olivier Lyon-Caen a cosigné, en septembre 2011, le Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire (Odile Jacob). Et que le professeur de neurologie à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, tient aujourd'hui à poursuivre ses consultations. "Etre au contact des malades, des soignants et des collègues médecins, c'est un bon repère", observe l'éminence grise du président "normal". "Ma seule légitimité, c'est celle de l'exercice de la médecine", raconte, de sa voix grave et posée, cet homme de 65 ans, qui frappe d'abord par ce mélange d'énergie contenue et de calme assurance, par son attention palpable à l'égard d'autrui.
UNE GRAND MÉDECIN
"Olivier Lyon-Caen, c'est d'abord un grand médecin, qui a dirigé jusqu'à peu le département de neurologie de la Pitié, le lieu de référence du domaine en France", rappelle Alain Fischer, pédiatre immunologiste à l'hôpital Necker. Anecdote révélatrice, c'est le neurologue qui a signé le rapport médical transmis au parquet, en 2011, établissant chez l'ancien président Jacques Chirac un diagnostic "d'anosognosie" (méconnaissance par le patient de sa condition).
"Avec le professeur Yves Agid, Olivier a été le chef d'école de la neurologie hospitalo-universitaire française", renchérit Arnold Munnich, généticien pédiatre à l'hôpital Necker. Celui qui fut, en miroir, le conseiller santé du président Nicolas Sarkozy insiste sur son "amitié profonde" pour son confrère, "en aucun cas un adversaire".
"Il a su transmettre sa passion aux jeunes générations", atteste son élève Catherine Lubetzki, qui a pris le relais à la tête du département de neurologie de la Pitié. Talent didactique qui s'est exprimé jusqu'à cet été, chaque semaine dans une émission santé sur France Culture, "Avec ou sans rendez-vous". "Sur des sujets souvent très éloignés de sa pratique médicale, il sait poser les bonnes questions", relève André Grimaldi, diabétologue à la Pitié.
Très matinal, gros travailleur, Olivier Lyon-Caen a "très bien organisé la structure de soins, en lien avec les activités de recherche et d'enseignement, selon Alain Fischer. Sur cette base a pu naître l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), qui devrait être un lieu phare en matière d'innovation médicale".
Beaucoup disent "fondre" sous ses qualités humaines. Cadre supérieure infirmière dans le département de neurologie de la Pitié, Karine Colin témoigne : "C'est un homme qui tient ses promesses, reconnaît quand il a tort et ne prend aucune décision sans l'accord du paramédical. Il sait quand quelqu'un va mal."
Ce serviteur de l'Etat est, selon ses pairs, un homme "intègre", "très en alerte sur les conflits d'intérêts", "soucieux du respect de la lettre, parfois raide comme la justice". Tous relèvent sa très grande prudence. L'héritage juridique familial ? Ou peut-être le reflet de sa première expérience de conseiller santé, de 1997 à 2002, auprès du premier ministre Lionel Jospin. Il avait été confronté à la crise de la "vache folle" et aux arbitrages de la loi Kouchner sur le droit des malades.
L'homme a ses paradoxes. Le choix de la médecine, chez ce descendant d'une longue lignée de juristes de renom. Une forte sensibilité aux diversités sociales, chez cet élégant qui porte noeud papillon et se livre parfois au baisemain. L'engagement affirmé en faveur d'une médecine solidaire et égalitaire, chez cet homme "fin et aristocratique", selon André Grimaldi. Sans oublier, chez ce grand fumeur qui circule en deux-roues, la plaidoirie en faveur d'une médecine préventive et d'une éducation à la santé renforcées.
CROIRE EN L'HOMME
Cette sensibilité à autrui n'exclut pas une certaine mise à distance. "Il est en permanence dans le contrôle", relèvent ceux qui le côtoient. Au fond, peu savent qui est derrière cet être pudique. "J'ai grandi dans une famille où les échanges intellectuels étaient primordiaux, confie Olivier Lyon-Caen. On nous apprenait deux choses : avoir l'esprit critique et ne pas se prendre au sérieux. Il n'y avait pas de croyance, sauf en l'homme." Et dans les vertus du sport collectif, dont le rugby, "un grand souvenir, une très belle école de vie et d'amitié", se remémore-t-il.
Il aime à rappeler les deux étapes historiques qui ont fondé notre système de santé : la création de la Sécurité sociale en 1945, sous l'impulsion du Conseil national de la Résistance, et la mise en place des Centres hospitalo-universitaires (CHU), en 1958, grâce à la réforme Debré, un "grand résistant". Deux références chargées de sens, chez cet homme imprégné d'universalisme qui raconte avoir grandi "dans une famille juive totalement athée". "Les parents d'Olivier ont été héroïques pendant la seconde guerre mondiale, glisse un proche. Il y a une filiation inconsciente".
On ne parvient pas à de telles responsabilités sans un réel sens politique. Dans sa seconde vie de conseiller, Olivier Lyon-Caen peut s'appuyer sur ses réseaux "de convictions et d'amitié, non de connivence", selon un pair. Jusqu'à ses 30 ans, il dit n'avoir pas été fasciné par les hommes politiques de gauche, hormis Mendès France, avouant "une admiration pour le gaullisme historique". Son engagement à gauche est venu par sa rencontre avec Lionel Jospin, "dans lequel se cristallisaient beaucoup de mes aspirations : rigueur, simplicité, droiture et convictions". Valeurs qu'il assure retrouver chez le président actuel.
"Olivier est un grand médecin qui considère que la médecine n'est pas tout, relève Didier Tabuteau, titulaire de la chaire d'économie de la santé à Sciences Po. Il est très ouvert à la confrontation d'idées sur des questions de médecine de ville, d'assurance-maladie, de prévention, de sécurité sanitaire... C'est un profil rare." "Ça me rassure de le savoir à cette place", appuie Arnold Munnich.
Refusant de s'arroger le droit de parler "au nom de tous", le conseiller alerte cependant sur "un des problèmes les plus aigus que nous aurons à affronter. Plus nous avançons dans la connaissance, plus la nécessité d'une réflexion sociétale s'impose vis-à-vis de ce qui arrivera immanquablement : l'heure des choix. Dans le domaine de la santé, avons-nous le droit et la possibilité de chercher sur tout et à n'importe quel prix ?"