Bonjour,
A la suite du débat que j'ai pu lire sur ce site, Frédéric Bonneau m'a contacté pour avoir des explications sur certains points qui ont été évoqués entre vous. A sa demande, je les reproduits pour tous ceux que cela intéressera.
Tout d'abord permettez-moi de vous confirmer que cela fait plus de 20 ansque j'avais fait mes premières observations sur un rétrovirus dans la SEP:
Perron, H., C. Geny, et al. (1989). "Leptomeningeal cell line from multiple sclerosis with reverse transcriptase activity and viral particles." Res Virol 140(6): 551-561.
Perron, H., B. Lalande, et al. (1991). "Isolation of retrovirus from patients with multiple sclerosis." Lancet 337(8745): 862-863.)
Mais il a fallu 8 ans pour arriver à en cultiver des quantités suffisantes pour obtenir sa séquence à partir de virion purifié, en collaboration avec Jeremy Garson (University College of London):
Perron, H., J. A. Garson, et al. (1997). "Molecular identification of a novel retrovirus repeatedly isolated from patients with multiple sclerosis. The Collaborative Research Group on Multiple Sclerosis." Proc Natl Acad Sci U S A 94(14): 7583-7588.
Puis confirmer qu'il appartenait à une famille de rétrovirus "endogènes" (donc pas du tout des rétrovirus calssiques, mais des virus "génétiques", dormants dans notre génome et réactivés par des facteurs externes, comme certaines infections):
Blond JL, Beseme F, Duret L, Bouton O, Bedin F, Perron H et al. Molecular characterization and placental expression of HERV-W, a new human endogenous retrovirus family. J Virol 1999; 73(2): 1175-1185.
Il a fallu aussi observer que ces particules "endogènes" étaient toxiques pour les cellules gliales, en Collaboration avec F. Rieger (INSERM, Paris):
Menard A, Amouri R, Michel M, Marcel F, Brouillet A, Belliveau J et al. Gliotoxicity, reverse transcriptase activity and retroviral RNA in monocyte/macrophage culture supernatants from patients with multiple sclerosis. FEBS Lett 1997; 413(3): 477-485.
Puis il a fallu encore 4 ans pour montrer que ce rétrovirus était immunopathogène, en collaboration avec Monique LAfon de l'institut PAsteur (PAris):
Perron H, Jouvin-Marche E, Michel M, Ounanian-Paraz A, Camelo S, Dumon A et al. Multiple sclerosis retrovirus particles and recombinant envelope trigger an abnormal immune response in vitro, by inducing polyclonal Vbeta16 T-lymphocyte activation. Virology 2001; 287(2): 321-332.
Puis encore cinq ans pour trouver comment il activait le système immunitaire pour provoquer une cascade inflammatoire et autoimmune, en collaboration avec l'équipe de P. Marche (INSERM, Grenoble)... et bloquer la protéine activatrice avec des anticorps:
Rolland A, Jouvin-Marche E, Viret C, Faure M, Perron H, Marche PN. The envelope protein of a human endogenous retrovirus-W family activates innate immunity through CD14/TLR4 and promotes Th1-like responses. J Immunol 2006; 176(12): 7636-7644.
Puis Geneuro a été créee sur le projet qui vise à traiter la SEP en neutralisant une protéine endogène en amont de la cascade pathologique qui conduit à la maladie et il a fallu 5 ans pour développer les modèles pré-cliniques et soumettre toutes les analyses réglementaires à l'agence du médicament, pour enfin obtenir le feu vert pour débuter les essais cliniques en 2012.
La phase I sur volontaires sains a été finalisée avec succès et nous sommes maintenant en train de finir la première phase (IIa) sur pateints SEP et prevoyons de faire la première étude d'efficacité (IIb) pendant l'année 2013 sur de nombreux centres en Europe (de l'Ouest et de l'Est...ne les oublions pas, ils n'ont quasiment rien pour se traiter!).
Vous comprendrez donc que, au delà des préjugés et réticences académiques à accepeter des issues innovantes dans des domaines "dogmatisés", il faut quand même beaucoup de temps pour arriver à comprendre un domaine nouveau de la biologie humaine et de la médecine...jusqu'à pouvoir proposer un premier traitement aux patients (et beaucoup d'investissement en travail et en argent pour le faire).
Je crois que notre société entretien le mythe de la rapidité que permettrait l'avancée de la science et des technologies...mais cela ne permettrait d'aller plus vite que pour résoudre des aspects résolus au 20ème siècle, avec les moyens de l'époque (microbes, virus et parasites de l'environnement et, antibiotiques, vaccins etc...). En fait cette technologie "moderne" ne nous permet finalement que d'avoir enfin les moyens d'aborder les questions irrésolues au 20ème siècle: d'abord celles des maladies chroniques inflammatoires et/ou dégénératives qui ont des bases multifactorielles, mais dont nous avons montré que certaines pouvaient avoir un "point de passage obligé" parmi les "virus génétiques" de notre génome (les rétrovirus endogènes).
Donc on peut étudier des choses beaucoup plus complexes, mais pas aller plus vite qu'avant...et il faudra toujours une carrière entière, une vie (ou plusieurs) pour aboutir à des solutions pour traiter et guérir (traiter ne suffit pas!) toutes ces maladies chroniques autoimmunes et dégénératives...sans parler du cancer. C'est à ces domaines que sert notre "technologie moderne", mais pas en allant plus vite que les garandes découvertes déjà faites auparavant, avec les moyens de leur époque!
Aussi, comme vous l'aurez constaté avec les exemples des grandes étapes que j'ai évoquées en citant des publications scientifiques qui les ont jalonnées, une recherche ne progresse pas et ne peut aboutir (presque toujours, je crois) du fait d'un individu seul et isolé dans ses recherches. Jamais ce chemin n'aurait été parcouru sans toutes les collaborations qui ont permis de franchir toutes les étapes cruciales qui nous ont conduits aujourd'hui à évaluer un traitement chez les malades SEP. C'est aussi un hommage à rendre à tous ceux qui ont l'esprit ouvert et acceptent de travailler en commun sur l'inconnu, de partager des risques et...aussi de belles découvertes en chemin!
Enfin, je voudrais apporter une petite précision concernant une remarque sur les "anticorps thérapeutiques". En effet, les anticorps ne sont pas en eux-mêmes une source d'effets secondaires car, depuis longtemps on les a utilisés par exemple pour les sérums anti-tétanique, anti-venin et, aussi, aux temps de l'épidémie, anti-polio. Comme ces anticorps peuvent être dirigés contre des cibles spécifiques, on les utilise pour les neutraliser ou les inactiver. C'est très bénéfique et sans risque important quand la cible est une protéine de bactérie ou de virus qui n'est pas présente normalement dans l'organisme et qu'il fuat neutraliser et éliminer pour guérir. C'est cette approche que nous développons, en ciblant une protéine du rétrovirus endogène qui est très vraisemblablement responsable de l'activation (initiale et chronique par la suite) de la cascade "pathologique" dans la SEP et , grâce aux anticorps recombinants "humanisés" on peut les utiliser de façon répétée sur le long-terme, si besoin.
Par contre, les graves effets secondaires rapportés par une personne sur votre blog (il y a de nombreuses publications médicales qui le décrivent maintenant) ne sont pas dus à l'utilisation de ces anticorps, mais bien au fait qu'on les a générés contre des molécules (marqueur cellulaire, récepteur à fonction essentielle, etc..) qui ont un rôle physiologique vital, notamment dans le système immunitaire. La stratégie thérapeutique reste la même: bloquer les cellules immunitaires pour freiner l'inflammation et ses troubles associés (poussées etc...), et il n'y a pas que les anticorps, car il y a de petites molécules chimiques utilisées aussi pour faire de même. Donc le problème n'est pas l'anticorps, mais ce qu'on lui fait reconnaitre et bloquer: une molécule virale étrangère (ou une toxine, un venin) ...ou bien des molécules qui ont un rôle majeur dans les défenses immunitaires. Dans le deuxième cas, malheureusement, les effets secondaires sont implicitement liés au blocage de fonction immunitaires correspondant aux fonctions des cellules ou des récepteurs ciblés!
Donc, ce n'est pas l'anticorps qui est un produit à risque, c'est la nature et les fonctions (physiologiques, ou totalement anormales) de la cible choisie (molécule de l'organisme normal ou molécule étrangère et sans rôle physiologique).
J'espère que ces explications répondent à vos questionnements tels qu'il mont été soumis par Frédéric Bonneau.
Je souhaite sincèrement que ce long et pénible cheminement soit couronné de succès...pour vous qui souffrez de SEP, et pour ceux qui souffrent d'autres maladies par la suite j'espère aussi.
Hervé Perron
A la suite du débat que j'ai pu lire sur ce site, Frédéric Bonneau m'a contacté pour avoir des explications sur certains points qui ont été évoqués entre vous. A sa demande, je les reproduits pour tous ceux que cela intéressera.
Tout d'abord permettez-moi de vous confirmer que cela fait plus de 20 ansque j'avais fait mes premières observations sur un rétrovirus dans la SEP:
Perron, H., C. Geny, et al. (1989). "Leptomeningeal cell line from multiple sclerosis with reverse transcriptase activity and viral particles." Res Virol 140(6): 551-561.
Perron, H., B. Lalande, et al. (1991). "Isolation of retrovirus from patients with multiple sclerosis." Lancet 337(8745): 862-863.)
Mais il a fallu 8 ans pour arriver à en cultiver des quantités suffisantes pour obtenir sa séquence à partir de virion purifié, en collaboration avec Jeremy Garson (University College of London):
Perron, H., J. A. Garson, et al. (1997). "Molecular identification of a novel retrovirus repeatedly isolated from patients with multiple sclerosis. The Collaborative Research Group on Multiple Sclerosis." Proc Natl Acad Sci U S A 94(14): 7583-7588.
Puis confirmer qu'il appartenait à une famille de rétrovirus "endogènes" (donc pas du tout des rétrovirus calssiques, mais des virus "génétiques", dormants dans notre génome et réactivés par des facteurs externes, comme certaines infections):
Blond JL, Beseme F, Duret L, Bouton O, Bedin F, Perron H et al. Molecular characterization and placental expression of HERV-W, a new human endogenous retrovirus family. J Virol 1999; 73(2): 1175-1185.
Il a fallu aussi observer que ces particules "endogènes" étaient toxiques pour les cellules gliales, en Collaboration avec F. Rieger (INSERM, Paris):
Menard A, Amouri R, Michel M, Marcel F, Brouillet A, Belliveau J et al. Gliotoxicity, reverse transcriptase activity and retroviral RNA in monocyte/macrophage culture supernatants from patients with multiple sclerosis. FEBS Lett 1997; 413(3): 477-485.
Puis il a fallu encore 4 ans pour montrer que ce rétrovirus était immunopathogène, en collaboration avec Monique LAfon de l'institut PAsteur (PAris):
Perron H, Jouvin-Marche E, Michel M, Ounanian-Paraz A, Camelo S, Dumon A et al. Multiple sclerosis retrovirus particles and recombinant envelope trigger an abnormal immune response in vitro, by inducing polyclonal Vbeta16 T-lymphocyte activation. Virology 2001; 287(2): 321-332.
Puis encore cinq ans pour trouver comment il activait le système immunitaire pour provoquer une cascade inflammatoire et autoimmune, en collaboration avec l'équipe de P. Marche (INSERM, Grenoble)... et bloquer la protéine activatrice avec des anticorps:
Rolland A, Jouvin-Marche E, Viret C, Faure M, Perron H, Marche PN. The envelope protein of a human endogenous retrovirus-W family activates innate immunity through CD14/TLR4 and promotes Th1-like responses. J Immunol 2006; 176(12): 7636-7644.
Puis Geneuro a été créee sur le projet qui vise à traiter la SEP en neutralisant une protéine endogène en amont de la cascade pathologique qui conduit à la maladie et il a fallu 5 ans pour développer les modèles pré-cliniques et soumettre toutes les analyses réglementaires à l'agence du médicament, pour enfin obtenir le feu vert pour débuter les essais cliniques en 2012.
La phase I sur volontaires sains a été finalisée avec succès et nous sommes maintenant en train de finir la première phase (IIa) sur pateints SEP et prevoyons de faire la première étude d'efficacité (IIb) pendant l'année 2013 sur de nombreux centres en Europe (de l'Ouest et de l'Est...ne les oublions pas, ils n'ont quasiment rien pour se traiter!).
Vous comprendrez donc que, au delà des préjugés et réticences académiques à accepeter des issues innovantes dans des domaines "dogmatisés", il faut quand même beaucoup de temps pour arriver à comprendre un domaine nouveau de la biologie humaine et de la médecine...jusqu'à pouvoir proposer un premier traitement aux patients (et beaucoup d'investissement en travail et en argent pour le faire).
Je crois que notre société entretien le mythe de la rapidité que permettrait l'avancée de la science et des technologies...mais cela ne permettrait d'aller plus vite que pour résoudre des aspects résolus au 20ème siècle, avec les moyens de l'époque (microbes, virus et parasites de l'environnement et, antibiotiques, vaccins etc...). En fait cette technologie "moderne" ne nous permet finalement que d'avoir enfin les moyens d'aborder les questions irrésolues au 20ème siècle: d'abord celles des maladies chroniques inflammatoires et/ou dégénératives qui ont des bases multifactorielles, mais dont nous avons montré que certaines pouvaient avoir un "point de passage obligé" parmi les "virus génétiques" de notre génome (les rétrovirus endogènes).
Donc on peut étudier des choses beaucoup plus complexes, mais pas aller plus vite qu'avant...et il faudra toujours une carrière entière, une vie (ou plusieurs) pour aboutir à des solutions pour traiter et guérir (traiter ne suffit pas!) toutes ces maladies chroniques autoimmunes et dégénératives...sans parler du cancer. C'est à ces domaines que sert notre "technologie moderne", mais pas en allant plus vite que les garandes découvertes déjà faites auparavant, avec les moyens de leur époque!
Aussi, comme vous l'aurez constaté avec les exemples des grandes étapes que j'ai évoquées en citant des publications scientifiques qui les ont jalonnées, une recherche ne progresse pas et ne peut aboutir (presque toujours, je crois) du fait d'un individu seul et isolé dans ses recherches. Jamais ce chemin n'aurait été parcouru sans toutes les collaborations qui ont permis de franchir toutes les étapes cruciales qui nous ont conduits aujourd'hui à évaluer un traitement chez les malades SEP. C'est aussi un hommage à rendre à tous ceux qui ont l'esprit ouvert et acceptent de travailler en commun sur l'inconnu, de partager des risques et...aussi de belles découvertes en chemin!
Enfin, je voudrais apporter une petite précision concernant une remarque sur les "anticorps thérapeutiques". En effet, les anticorps ne sont pas en eux-mêmes une source d'effets secondaires car, depuis longtemps on les a utilisés par exemple pour les sérums anti-tétanique, anti-venin et, aussi, aux temps de l'épidémie, anti-polio. Comme ces anticorps peuvent être dirigés contre des cibles spécifiques, on les utilise pour les neutraliser ou les inactiver. C'est très bénéfique et sans risque important quand la cible est une protéine de bactérie ou de virus qui n'est pas présente normalement dans l'organisme et qu'il fuat neutraliser et éliminer pour guérir. C'est cette approche que nous développons, en ciblant une protéine du rétrovirus endogène qui est très vraisemblablement responsable de l'activation (initiale et chronique par la suite) de la cascade "pathologique" dans la SEP et , grâce aux anticorps recombinants "humanisés" on peut les utiliser de façon répétée sur le long-terme, si besoin.
Par contre, les graves effets secondaires rapportés par une personne sur votre blog (il y a de nombreuses publications médicales qui le décrivent maintenant) ne sont pas dus à l'utilisation de ces anticorps, mais bien au fait qu'on les a générés contre des molécules (marqueur cellulaire, récepteur à fonction essentielle, etc..) qui ont un rôle physiologique vital, notamment dans le système immunitaire. La stratégie thérapeutique reste la même: bloquer les cellules immunitaires pour freiner l'inflammation et ses troubles associés (poussées etc...), et il n'y a pas que les anticorps, car il y a de petites molécules chimiques utilisées aussi pour faire de même. Donc le problème n'est pas l'anticorps, mais ce qu'on lui fait reconnaitre et bloquer: une molécule virale étrangère (ou une toxine, un venin) ...ou bien des molécules qui ont un rôle majeur dans les défenses immunitaires. Dans le deuxième cas, malheureusement, les effets secondaires sont implicitement liés au blocage de fonction immunitaires correspondant aux fonctions des cellules ou des récepteurs ciblés!
Donc, ce n'est pas l'anticorps qui est un produit à risque, c'est la nature et les fonctions (physiologiques, ou totalement anormales) de la cible choisie (molécule de l'organisme normal ou molécule étrangère et sans rôle physiologique).
J'espère que ces explications répondent à vos questionnements tels qu'il mont été soumis par Frédéric Bonneau.
Je souhaite sincèrement que ce long et pénible cheminement soit couronné de succès...pour vous qui souffrez de SEP, et pour ceux qui souffrent d'autres maladies par la suite j'espère aussi.
Hervé Perron