Rédigé par François Rieger le 15/10/2012, PhD, ancien directeur de recherches au CNRS :
Ce texte reprend les faits marquants de l’aventure rétrovirale et peut représenter un résumé de la véritable saga qui a caractérisé la recherche sur la sclérose en plaques et surtout de ses causes ces vingt dernières années. D’abord remettons les évènements, idées et interrogations en place: La sclérose en plaques est une maladie aussi multiple que son nom en anglais. Autant dans ses expressions cliniques que dans ses nombreuses anomalies biologiques, variables d’un individu à l’autre, et tout au long de son décours. Les pistes ont été nombreuses pour aborder sa compréhension et son suivi médical.
Les traitements imaginés il y a plusieurs décennies ont été pharmacologiques, avec des molécules actives sur le fonctionnement du système nerveux (pour aider la transmission centrale de l’influx nerveux) comme sur le système immunitaire (pour maîtriser la réaction immunitaire contre le soi), de manière non spécifique (globale, par leur cytotoxicité) ou récemment contre des composants uniques du système immunitaire, censés être clefs pour induire une accalmie ou une normalisation des automatismes de défense dévoyés.
Récemment, la recherche de nouvelles stratégies de traitement s’est développée sur toutes les pistes que la science moderne activait l’une après l’autre… Et nous sommes encore sur ces pistes, avec toutes les sophistications apportées par l’affinement incroyable sur ces 10 dernières années de ces mêmes approches.
À titre d’exemples :
- La connaissance du génome humain, élucidé dans le détail en 2005, a amené une intensification des recherches sur la susceptibilité génétique dans le monde entier... et des sommes colossales engagées dans des programmes à haut débit, sans résultat décisifs !...l’effort continue !
- Les cellules de remplacement, pour permettre la régénération des cellules gliales myélinisantes, cellules souches etc… Le récent prix Nobel montre la densité et les enjeux des travaux depuis 30 ans.
- Madeleine Gumpel fut un précurseur à l’INSERM/ Pitié-Salpêtrière (dans les années 70-80) de la greffe de cellules gliales pour régénérer du tissu glial détruit par des réactions inflammatoires dans le cerveau. Ces greffes présentent un danger de cancérisation car les cellules souches indifférenciées utilisées peuvent échapper à l’inhibition de contact et être à l’origine de métastases. Ces greffes sont aussi exposées à l’action des systèmes de destruction actifs dans la SEP et non encore connus et moins encore jugulés. On entendra encore longtemps rapporter des efforts pour régénérer le tissu détruit.
- L’immunologie cellulaire ou humorale et la part de l’inné et de l’acquis font l’objet d’innombrables recherches depuis un siècle, et aboutissent à la caractérisation de nombreux types cellulaires fonctionnels en immunité, ainsi qu’à des dizaines de médiateurs de l’immunité (les cytokines).
Aucune cellule ou cytokine n’est apparue pour l’instant spécifique de la SEP. Y toucher (par des anticorps humanisés ou pas) aboutit à changer les équilibres au sein du système immunitaire du patient, quelquefois avec une action partielle plus ou moins marquée et jamais curative, au prix de dépenses de santé disproportionnées avec le résultat.
- La pharmacologie moléculaire offre des pistes toujours renouvelées avec les millions de molécules disponibles à essayer... L’utilisation d’une nouvelle molécule est toujours l’occasion de travaux pré-cliniques in vitro, puis in vivo chez l’animal, suivis d’essais cliniques de preuve du concept, avant de s’engager sur des essais sur des cohortes de patients plus nombreuses.
- Des méthodes diagnostiques, pour le suivi de la pathologie et l’évaluation quantitative des effets des médicaments testés, se mettent au point, avec de plus en plus de précision disponible ; c’est le cas de l’imagerie par RMN, ou de tests sanguins évaluant les cellules et cytokines marqueurs de l’inflammation ou de la réponse immune…
Parmi ces diverses voies d’approche des causes (mécanismes pathologiques) de la sclérose en plaques, destinées à imaginer d’autres possibilités de traitements, nous étions bien placés en France pour privilégier une approche dans le domaine de la virologie. C’est là que commence le récit bref de la « saga du rétrovirus ». Depuis longtemps, les virologues observaient des effets d’infections virales dans le système nerveux animal ou humain. Les pistes primitives ont concerné tous les virus soupçonnables tels que le virus de la Maladie de Carré chez le chien, la rougeole, EBV ( Epstein-Barr Virus), Herpes de différents types, HTLV 1, lui-même impliqué dans une maladie à incidence neurologique, présente dans les zones tropicales, la paraparésie spastique tropicale (PST), pour ne citer que les plus en vue au cours de la dernière vingtaine d’années. C’est dans ce contexte, dans lequel l’Institut Pasteur a une place importante dans le monde, que les études bien connues sur HIV ont apporté quelques éléments supplémentaires sur une éventuelle cytotoxicité d’éléments viraux de type rétrovirus.
En effet, des cellules gliales meurent dans la SEP, et peut-être pas seulement à la suite d’une attaque directe de la myéline (gaine de l’axone, elle-même produite par la cellule spécialisée appelée oligodendrocyte), mais par exposition à un facteur viral de nature protéine virale exprimée, associée ou indépendante du virion (la particule infectieuse assemblée par la cellule infectée).
Un jeune étudiant en thèse à Grenoble, dans le laboratoire de Daniel Seigneurin (Virologie), a observé des particules virales dans quelques prélèvements de cellules issues du liquide céphalorachidien de patients SEP (cellules leptoméningées). Cette observation, présentée aux collègues virologues, n’a alors constitué qu’un nouvel élément factuel sur la présence possible de matériel viral dans un tissu de patient SEP. Mais l’étudiant du nom d’Hervé Perron, fort motivé par la maladie, a tout de suite donné un nom à ces particules non identifiées : MSRV, soit Multiple Sclerosis Retro-Virus, affirmant ainsi une pétition de principe… à prouver.
De 1995 à 1998, BioMérieux a accumulé des analyses de séquences nucléiques de type viral issues de cellules de patients gardées en culture, sans notion de spécificité : toutes étaient censées avoir une relation avec le rétrovirus putatif MSRV, mais toutes différentes les unes des autres.
Ce n’est qu’en 1997-1998 que l’équipe INSERM de F. Rieger, recherchant des séquences protéiques traduites de type viral-consensus, trouvait un virus entier intégré (RETROVIRUS ENDOGENE) dans le chromosome humain 7q (un virus ancestral intégré chez les précurseurs phylogénétiques de l’homme il y a plusieurs dizaines de millions d’années) et surtout une expression de protéine rétrovirale de type Env, permettant de concevoir un anticorps bloquant pour entamer une démarche thérapeutique.
Ces résultats ont paru tellement intéressants que notre organisme de tutelle, l’INSERM (DG : Mr Griscelli), décidait de déposer un brevet français puis international, nous hissant au niveau de BioMérieux. Nous avons eu le plaisir de voir se confirmer l’intérêt physiologique de notre découverte, par les travaux d’une autre unité INSERM au CEA à Grenoble(P. Marche), montrant une activation de cellules dendritiques humaines du système immunitaire, suggérant un mécanisme d’action autoimmun pour une telle protéine exprimée en dehors de ses tissus d’expression normaux (le placenta).
Cela a entrainé la création d’une start up, que j’ai orientée sur l’incubateur genevois Eclosion (créé en 2004 et coordonné au BioPark d’Archamps que j’ai fondé sur la frontière suisse). GeNeuro se chargeait des développements de notre brevet (en licence exclusive) et de ceux de BioMérieux, BioMérieux se réservant les droits de développement sur les moyens diagnostiques et prenant une part minoritaire de capital. Cette nouvelle entreprise (GeNeuro) créait un anticorps humanisé susceptible d’être utilisé en immunothérapie passive (injections répétées d’anticorps bloquants).
Des essais de phase 1 ont été effectués récemment avec cet anticorps et des essais de phase 2a débutent en Suisse. Il en sortira -on l’espère-un nouveau traitement pour la SEP.
Pour progresser dans le domaine du traitement, il reste à réactiver des études sur le facteur gliotoxique que nous avions détecté en 1996 (plusieurs publications entre 1996 et 2002) pour l’identifier, et qui a donné lieu à un effort particulier en interne chez BioMérieux, sans apporter de certitudes sur sa caractérisation, au point que certains considèrent qu’il ne s’agit que d’un sous produit lié à l’expression rétrovirale HERV W/7q.
Ce facteur gliotoxique pourrait in fine expliquer l’aspect glio-et même neuro-dégénératif de la SEP, peut-être important pour la forme progressive de la SEP, qui ne comporte que peu ou pas de composante inflammatoire.
L’étude clinique de phase 2a a nécessité des volontaires que les associations ForSEPs, Initiative SEP et SEP Rhône-Alpes ont contribué à trouver pour faire progresser rapidement l’évaluation de ce traitement.
François Rieger
Nota : Ce texte a été intégré dans notre nouvelle brochure, tous mes remerciements à François Rieger.
Ce texte reprend les faits marquants de l’aventure rétrovirale et peut représenter un résumé de la véritable saga qui a caractérisé la recherche sur la sclérose en plaques et surtout de ses causes ces vingt dernières années. D’abord remettons les évènements, idées et interrogations en place: La sclérose en plaques est une maladie aussi multiple que son nom en anglais. Autant dans ses expressions cliniques que dans ses nombreuses anomalies biologiques, variables d’un individu à l’autre, et tout au long de son décours. Les pistes ont été nombreuses pour aborder sa compréhension et son suivi médical.
Les traitements imaginés il y a plusieurs décennies ont été pharmacologiques, avec des molécules actives sur le fonctionnement du système nerveux (pour aider la transmission centrale de l’influx nerveux) comme sur le système immunitaire (pour maîtriser la réaction immunitaire contre le soi), de manière non spécifique (globale, par leur cytotoxicité) ou récemment contre des composants uniques du système immunitaire, censés être clefs pour induire une accalmie ou une normalisation des automatismes de défense dévoyés.
Récemment, la recherche de nouvelles stratégies de traitement s’est développée sur toutes les pistes que la science moderne activait l’une après l’autre… Et nous sommes encore sur ces pistes, avec toutes les sophistications apportées par l’affinement incroyable sur ces 10 dernières années de ces mêmes approches.
À titre d’exemples :
- La connaissance du génome humain, élucidé dans le détail en 2005, a amené une intensification des recherches sur la susceptibilité génétique dans le monde entier... et des sommes colossales engagées dans des programmes à haut débit, sans résultat décisifs !...l’effort continue !
- Les cellules de remplacement, pour permettre la régénération des cellules gliales myélinisantes, cellules souches etc… Le récent prix Nobel montre la densité et les enjeux des travaux depuis 30 ans.
- Madeleine Gumpel fut un précurseur à l’INSERM/ Pitié-Salpêtrière (dans les années 70-80) de la greffe de cellules gliales pour régénérer du tissu glial détruit par des réactions inflammatoires dans le cerveau. Ces greffes présentent un danger de cancérisation car les cellules souches indifférenciées utilisées peuvent échapper à l’inhibition de contact et être à l’origine de métastases. Ces greffes sont aussi exposées à l’action des systèmes de destruction actifs dans la SEP et non encore connus et moins encore jugulés. On entendra encore longtemps rapporter des efforts pour régénérer le tissu détruit.
- L’immunologie cellulaire ou humorale et la part de l’inné et de l’acquis font l’objet d’innombrables recherches depuis un siècle, et aboutissent à la caractérisation de nombreux types cellulaires fonctionnels en immunité, ainsi qu’à des dizaines de médiateurs de l’immunité (les cytokines).
Aucune cellule ou cytokine n’est apparue pour l’instant spécifique de la SEP. Y toucher (par des anticorps humanisés ou pas) aboutit à changer les équilibres au sein du système immunitaire du patient, quelquefois avec une action partielle plus ou moins marquée et jamais curative, au prix de dépenses de santé disproportionnées avec le résultat.
- La pharmacologie moléculaire offre des pistes toujours renouvelées avec les millions de molécules disponibles à essayer... L’utilisation d’une nouvelle molécule est toujours l’occasion de travaux pré-cliniques in vitro, puis in vivo chez l’animal, suivis d’essais cliniques de preuve du concept, avant de s’engager sur des essais sur des cohortes de patients plus nombreuses.
- Des méthodes diagnostiques, pour le suivi de la pathologie et l’évaluation quantitative des effets des médicaments testés, se mettent au point, avec de plus en plus de précision disponible ; c’est le cas de l’imagerie par RMN, ou de tests sanguins évaluant les cellules et cytokines marqueurs de l’inflammation ou de la réponse immune…
Parmi ces diverses voies d’approche des causes (mécanismes pathologiques) de la sclérose en plaques, destinées à imaginer d’autres possibilités de traitements, nous étions bien placés en France pour privilégier une approche dans le domaine de la virologie. C’est là que commence le récit bref de la « saga du rétrovirus ». Depuis longtemps, les virologues observaient des effets d’infections virales dans le système nerveux animal ou humain. Les pistes primitives ont concerné tous les virus soupçonnables tels que le virus de la Maladie de Carré chez le chien, la rougeole, EBV ( Epstein-Barr Virus), Herpes de différents types, HTLV 1, lui-même impliqué dans une maladie à incidence neurologique, présente dans les zones tropicales, la paraparésie spastique tropicale (PST), pour ne citer que les plus en vue au cours de la dernière vingtaine d’années. C’est dans ce contexte, dans lequel l’Institut Pasteur a une place importante dans le monde, que les études bien connues sur HIV ont apporté quelques éléments supplémentaires sur une éventuelle cytotoxicité d’éléments viraux de type rétrovirus.
En effet, des cellules gliales meurent dans la SEP, et peut-être pas seulement à la suite d’une attaque directe de la myéline (gaine de l’axone, elle-même produite par la cellule spécialisée appelée oligodendrocyte), mais par exposition à un facteur viral de nature protéine virale exprimée, associée ou indépendante du virion (la particule infectieuse assemblée par la cellule infectée).
Un jeune étudiant en thèse à Grenoble, dans le laboratoire de Daniel Seigneurin (Virologie), a observé des particules virales dans quelques prélèvements de cellules issues du liquide céphalorachidien de patients SEP (cellules leptoméningées). Cette observation, présentée aux collègues virologues, n’a alors constitué qu’un nouvel élément factuel sur la présence possible de matériel viral dans un tissu de patient SEP. Mais l’étudiant du nom d’Hervé Perron, fort motivé par la maladie, a tout de suite donné un nom à ces particules non identifiées : MSRV, soit Multiple Sclerosis Retro-Virus, affirmant ainsi une pétition de principe… à prouver.
De 1995 à 1998, BioMérieux a accumulé des analyses de séquences nucléiques de type viral issues de cellules de patients gardées en culture, sans notion de spécificité : toutes étaient censées avoir une relation avec le rétrovirus putatif MSRV, mais toutes différentes les unes des autres.
Ce n’est qu’en 1997-1998 que l’équipe INSERM de F. Rieger, recherchant des séquences protéiques traduites de type viral-consensus, trouvait un virus entier intégré (RETROVIRUS ENDOGENE) dans le chromosome humain 7q (un virus ancestral intégré chez les précurseurs phylogénétiques de l’homme il y a plusieurs dizaines de millions d’années) et surtout une expression de protéine rétrovirale de type Env, permettant de concevoir un anticorps bloquant pour entamer une démarche thérapeutique.
Ces résultats ont paru tellement intéressants que notre organisme de tutelle, l’INSERM (DG : Mr Griscelli), décidait de déposer un brevet français puis international, nous hissant au niveau de BioMérieux. Nous avons eu le plaisir de voir se confirmer l’intérêt physiologique de notre découverte, par les travaux d’une autre unité INSERM au CEA à Grenoble(P. Marche), montrant une activation de cellules dendritiques humaines du système immunitaire, suggérant un mécanisme d’action autoimmun pour une telle protéine exprimée en dehors de ses tissus d’expression normaux (le placenta).
Cela a entrainé la création d’une start up, que j’ai orientée sur l’incubateur genevois Eclosion (créé en 2004 et coordonné au BioPark d’Archamps que j’ai fondé sur la frontière suisse). GeNeuro se chargeait des développements de notre brevet (en licence exclusive) et de ceux de BioMérieux, BioMérieux se réservant les droits de développement sur les moyens diagnostiques et prenant une part minoritaire de capital. Cette nouvelle entreprise (GeNeuro) créait un anticorps humanisé susceptible d’être utilisé en immunothérapie passive (injections répétées d’anticorps bloquants).
Des essais de phase 1 ont été effectués récemment avec cet anticorps et des essais de phase 2a débutent en Suisse. Il en sortira -on l’espère-un nouveau traitement pour la SEP.
Pour progresser dans le domaine du traitement, il reste à réactiver des études sur le facteur gliotoxique que nous avions détecté en 1996 (plusieurs publications entre 1996 et 2002) pour l’identifier, et qui a donné lieu à un effort particulier en interne chez BioMérieux, sans apporter de certitudes sur sa caractérisation, au point que certains considèrent qu’il ne s’agit que d’un sous produit lié à l’expression rétrovirale HERV W/7q.
Ce facteur gliotoxique pourrait in fine expliquer l’aspect glio-et même neuro-dégénératif de la SEP, peut-être important pour la forme progressive de la SEP, qui ne comporte que peu ou pas de composante inflammatoire.
L’étude clinique de phase 2a a nécessité des volontaires que les associations ForSEPs, Initiative SEP et SEP Rhône-Alpes ont contribué à trouver pour faire progresser rapidement l’évaluation de ce traitement.
François Rieger
Nota : Ce texte a été intégré dans notre nouvelle brochure, tous mes remerciements à François Rieger.